Nous savons tous que la spiritualité jésuite vit de tensions : la fécondité de notre vie et de notre mission dépend de la manière – plus ou moins heureuse – avec laquelle nous vivons ces tensions. Tension entre contemplation et action. Tension entre universalité et insertion locale. Tension entre le choix des moyens les plus concrets et la confiance en l’action de Dieu…
Il se fait qu’en cette sixième semaine de la Congrégation, le nombre de tensions augmente encore. Il y a la tension entre « Ça sent la fin » et « Il est interdit de réserver son ticket de retour ». La tension entre « Est-ce que je devrais encore proposer tel amendement ? » et « Surtout ne pas prolonger inutilement les débats ! » La tension entre « Il est temps de retourner dans ma Province, dans ma communauté, que je reprenne mes activités apostoliques ! » et « Une expérience à Rome, avec 213 autres compagnons du monde entier, c’est suffisamment rare et exceptionnel dans une vie, pour trop la raccourcir ». La tension entre « La nostalgie de son pays – pour moi, ce sont les frites, le chocolat et ma communauté au centre de Bruxelles qui me manquent ! » et « La joie de traverser quatre fois par jour les rues de Rome, l’émerveillement devant tant de splendeur… et le plaisir des plats italiens ».
Vous comprenez davantage pourquoi les débats se prolongent ! Cette prolongation ne se fait pas sans tension. Certains jours on voudrait en terminer rapidement en votant tous les textes sans plus trop réfléchir ; d’autres jours on se sentirait prêt à reprendre tous les débats et discernements depuis le début, pour approfondir, pour goûter, pour vérifier.
Quelqu’un faisait remarquer : « Ce travail nous ne le faisons pas pour nous, mais pour tous les compagnons que nous retrouverons dès la fin de la Congrégation ! » Peut-être ces compagnons attendent-ils beaucoup ? Peut-être se demandent-ils : « Mais que font-ils si longtemps ensemble ? Réécrivent-ils les Constitutions ? » Je prévois un certain étonnement quand vous lirez les textes qui ressortiront de ces semaines de prière, de partages et de débats : « Tant de semaines pour si peu ! »
Sachez que pour rédiger des textes brefs, il nous faut travailler d’autant plus longtemps et en profondeur. Il serait relativement aisé de parvenir à des textes qui seraient d’autant plus facilement consensuels qu’ils seraient longs : chacun des 214 y retrouveraient sa propre partie. Consensuels, mais inutilisables ! « La longueur d’un texte est inversement proportionnel à la quantité de travail qui le précède ». Pour le dire plus simplement : nous devons d’autant plus travailler que nous voulons des textes brefs et concis. Et cela encore ajoute à la tension créatrice de ces journées !