En arrivant à Rome pour participer à la Congrégation générale des jésuites qui a pour tâche première d’élire un nouveau Supérieur Général, nous sommes d’emblée saisis et convaincus de participer à une expérience tout à fait exceptionnelle. Non pas à cause d’un quelconque côté grandiose, impressionnant ou encore extraordinaire, mais parce que nous ressentons expressément que nous nous inscrivons dans la tradition des premiers compagnons jésuites rassemblés de partout dans le monde pour délibérer entre eux (ce que nous appelons habituellement « discerner ») et rechercher le bien commun le plus universel. Comment une assemblée aussi diverse et aussi nombreuse à la fois (cette fois-ci plus de 210 électeurs jésuites de quelque 65 nations), formée de personnes qui ne se connaissent pas pour la plupart, experts en rationalité et exercés à l’esprit critique, peut-elle arriver à un tel consensus, en utilisant une forme de discernement spirituel fondé sur l’écoute de l’Esprit, la lecture des signes de notre temps et l’attention aux motions intérieures ? Autrement dit, comment peut-on élire un Père Général choisi parmi les jésuites du monde entier, sans poser la candidature de qui que ce soit, sans discuter ouvertement d’aucun nom, sans engager aucune discussion de groupe ? Comment peut-on conserver une telle liberté d’esprit et de cœur, qui permette à chacun de dépasser ses crispations et angoisses, d’éliminer les désirs conscients ou inconscients de peser sur les choix, ou encore les ambitions de réussite?
Cette expérience, si nous la méditons, est une véritable leçon, celle qui nous apprend comment parvenir à rechercher ce que nous osons appeler la « volonté de Dieu », en atteignant « l’union des esprits et des cœurs ». Comment, arrivant à mettre de côté nos intérêts propres et recherchant uniquement ce qui peut nous faire parvenir à une plus grande gloire de Dieu et un meilleur service des hommes et des femmes de notre temps (ce que nous traduisons par «indifférence » ou «liberté intérieure ») nous arrivons à choisir non pas ce que nous voulons, mais ce que l’Esprit nous conduit à désirer et vouloir, et que nous pressentons comme étant la volonté même de Dieu.
Entrer dans une telle expérience est certainement un acte de foi profond, c’est-à-dire de confiance en l’action de l’Esprit, mais également un acte de confiance en l’homme et en ses capacités à rechercher ce qui peut conduire au bien véritable, en dépassant ses tendances égoïstes et ses intérêts étroits.
Victor Assouad, sj