Ces derniers jours ont été bien chargés et nos petites têtes de délégués copieusement remplies, je dirais même, farcies. Nous sommes dans la phase « Ad negocia » de la Congrégation, celle où l’on traite des affaires importantes concernant la Compagnie. A chaque fois, il nous faut essayer de comprendre la question qui se pose, en saisir les enjeux, évaluer les propositions émises, chercher ce qui peut aider à avancer. Le tout à travers de longues séances en assemblée, avec de nombreuses interventions limitées à 3 minutes chacune, nécessairement donc un peu schématiques ou bien partielles, ne donnant qu’un extrait de ce qui aurait pu se dire.
Il va nous falloir avancer ainsi, avec ce sentiment peu confortable de n’avoir pu faire le tour de la question. Les échanges dans les couloirs aident beaucoup car c’est souvent le lieu où s’élaborent de petites synthèses, où un point de vue clair émerge. C’est à partir de tout cela que nous nous prononcerons, le moins mal possible, j’espère.
Ce dont nous faisons ainsi l’expérience n’a-t-il pas quelque chose à voir avec la vie quotidienne ? Très loin du rêve qui peut nous habiter, d’un discernement « en laboratoire », c’est-à-dire mené dans des conditions optimales d’écoute de l’Esprit, bénéficiant d’une sorte de claire vision panoramique, dans un environnement protégé de tout germe étranger. Si nous avions pu imaginer la Congrégation générale ainsi, eh bien, l’exercice ramène bien vite à une réalité plus prosaïque. Nous sommes assez proches, finalement, de ce dont on fait l’expérience, chaque jour, quand on doit avancer vaille que vaille et prendre des décisions, petites ou grandes, le moins mal possible, en fonction d’un nombre limité d’éléments.
Mais au fait, y a-t-il un vrai discernement qui puisse s’élaborer « en laboratoire » ? J’en doute beaucoup car il aurait écarté de son propos toute la matière vivante, celle qui, justement, ne s’appréhende jamais facilement. Apparemment, notre Dieu a choisi de nous parler ainsi, au beau milieu de tout ce qui nous arrive et qui souvent tire à hue et à dia. Il suffit par exemple d’ouvrir le psautier pour s’en rendre compte.
Mais alors, comment reconnaître dans tout cela, ce qui vient de Dieu ? Chaque matin, dans ma prière, je repense à ce que nous a dit le pape François, et me vient également son attitude, sa manière d’être, elle aussi très parlante. Il nous a invités à supplier pour demander la consolation, prière qui « constitue le principal service qu’on rend à la joie ».
La consolation, c’est déjà une joie. Pas n’importe quelle joie : ni triomphale, ni tapageuse, ni vantarde, ni brutale, mais douce, humble, paisible, et qui répare ce qui a été déchiré, lave ce qui a été sali, relève ce qui a été dégradé. C’est une joie qui guérit et rassemble. La demander et, même, supplier Dieu de nous la donner, c’est reconnaître que nous en avons bien besoin, de cette joie. Et celui qui, au beau milieu de tout ce qui lui arrive, implore son Seigneur pour elle est déjà mis dans la position de la percevoir et de l’accueillir. Seigneur, que ce soit cela qui nous guide !
Étienne Grieu, sj